Le père débouche le champagne, sert quatre coupes, juste un fond pour la plus jeune, puis il appelle tout le monde.
La mère et les enfants arrivent, tout contents. Chacun s’assoit, puis, un peu cérémonieusement, le père lève son verre et déclare :
– A ton contrat mon grand, bravo !
Le fils rosit de plaisir, et pendant que tout le monde trinque, la mère raconte la signature de l’après-midi : ça a été très simple et rapide, manifestement une opération de routine. Le père s’étonne :
– Je ne savais pas qu’ils faisaient des contrats de recrutement anticipé dans le BTP. J’en avais entendu parler dans l’immobilier mais pas ailleurs.
– Si, je te l’ai dit, répond la mère, chez moi ils en font aussi : dans l’informatique on manque toujours de monde. Remarque, on le voyait arriver il y a quelques années déjà, souviens-toi comment ils m’ont recrutée : quand le journal a fermé, je courais après les piges, ce sont eux qui sont venus me chercher. Ils m’ont dit : on aime bien les journalistes, pour la curiosité et l’autonomie. Et ils ont eu raison, ça a bien marché.
– C’est vrai. Ce qui m’étonne, c’est la formation : sur un métier technique, une fois que les gens sont recrutés, comment ça se passe ? Pour toi mon grand, ça sera comment ?
– Ben, j’ai signé le contrat, répond le fils, je fais les études et je commence le travail dès que j’ai le diplôme.
– Ça dépend des boîtes, reprend la mère, certaines te forment sur le tas, d’autres, comme la mienne, t’apprennent la base et tu te débrouilles seul ensuite, d’autres payent carrément la formation, d’autres ne font rien du tout. Dans tous les cas, ils commencent par la personnalité, parce que c’est compliqué à faire évoluer, alors que le savoir c’est plus simple : il suffit d’apprendre. Pour Arthur, on a de la chance : il va avoir un petit salaire pendant les études !
– Haan le bol ! souffle la fille.
– Attends, ce n’est pas de l’argent de poche, intervient le père, ça va nous aider à payer la piaule, c’est que c’est cher, les études.
Le fils fait un peu la tête. Pour le rasséréner, le père demande :
– Et comment ils t’ont repéré, mon grand ?
– C’est les badges, bougonne-t-il.
– C’est le club de rugby, précise la mère, leurs badges sont très cotés.
– Comment ça ? s’étonne le père.
La fille, qui fouillait sur son téléphone, énonce à haute voix :
– Palmarès des badges validant des qualités de leadership : 1er Association des chefs d’orchestre, 2ème Fédération française de rugby, 3ème Groupe French Business Schools, et aussi : Badges validant la capacité à travailler en équipe : 1er Fédération française de rugby, 2ème Marine nationale-Commandos de marine, 3ème International E-sports Federation.
– Attends, tu es sur quel site, là ? demande le père, c’est sérieux ce truc ?
– Tu crois quoi ? tacle la fille piquée. Je te rappelle que je suis née avec internet, moi : Letudiant.fr, ça te va ?
Les autres rient sous cape, pendant que le père répond :
– Euh, oui oui, ça va.
– Et toi ma puce, tes badges ? reprend la mère.
– Pour la créativité, j’ai le Rossignol de l’Equipe de France de théâtre d’improvisation, c’est le troisième niveau, et le Tournevis d’acier de l’ACREF, c’est le sixième niveau ! L’ACREF c’est l’association des cafés Réparation.
– Quel rapport entre les cafés Réparation et la créativité ? demande le père.
– Mais Papa, il faut être créatif pour bricoler : il faut inventer des solutions.
Le père en convient. La mère regarde à son tour son téléphone :
– Ces badges-là sont très demandés par les écoles d’art, évidemment, mais aussi par les instituts de recherche. D’ailleurs il faut qu’on te signe le papier pour le collège la semaine prochaine, c’est quoi déjà ?
– C’est le CNRS et le CEA qui viennent en repérage.
– Bon, on espère que ça te réussira autant qu’à ton frère. Après, il ne restera plus qu’à faire les études, hein mon grand ?
Le fils lève les yeux au ciel :
– Papa, ce n’est pas ça, l’essentiel…
Ancrage dans le monde actuel :
Des entreprises annoncent qu’elles recrutent les candidats sur leurs traits de personnalité.
Les open badges sont l’équivalent de mini-diplômes qui valident des compétences ou des expériences. Chaque badge indique ses critères d’attribution et inclut les preuves du respect de ces critères (photo, attestation…). Les badges peuvent être émis par tout acteur qui le souhaite.
Il existe déjà plusieurs centaines de repair cafés en France.
Photo de Kelly Sikkema sur Unsplash
Si tous les DRH du monde pouvaient se donner la main….