27 décembre
Nadia arrête de taper, souffle dans ses doigts agacée, une fois, deux fois, puis elle claque sèchement l’écran de l’ordinateur sur le clavier. Elle regarde par la fenêtre, le jour baisse. Elle plisse les yeux pour lire la température sur le thermomètre dehors : deux degrés. Elle s’attendait à moins. Mais dans la chambre il fait dix-huit et elle est devant son ordinateur depuis deux heures.
Elle se rappuie contre le dossier de sa chaise, remonte jusqu’aux oreilles le col de son épaisse robe de chambre, rajuste la couverture sur ses jambes et croise les bras. Elle souffle devant elle en faisant phou phou, pour voir si de la buée sort de sa bouche. Pas de buée. Elle a froid quand même et fait encore phou mais cette fois c’est un soupir.
Bien qu’elle soit en vacances, elle voulait finir une bricole pour redémarrer sereinement lundi prochain. Donc elle travaille à la maison. Mais même ceux qui ne sont pas en vacances sont à la maison : semaine des fêtes, tous les bureaux sont fermés. Malheureusement, prise par sa tâche, ça a duré plus longtemps que prévu. Elle aurait dû aller au bureau de quartier, là-bas c’est chauffé. Alors qu’ici… c’est leur premier hiver dans cet immeuble zéro énergie. Phou.
Elle reste quelques instants immobiles, avec la flemme de bouger et de risquer un courant d’air assassin entre ses couches de vêtements. Un frisson obtus la secoue, elle se lève. Elle prend son ordinateur dans une main, maintient la couverture en place de l’autre et se dirige vers le salon à petits pas.
Au milieu de l’autre pièce trône un grand cube qui monte jusqu’au plafond. Il est intégralement tapissé de livres et de plantes. Elle le contourne pour trouver une petite porte. Elle l’ouvre et pénètre dans une toute petite pièce où se trouvent une banquette, un homme qui lit et trois enfants qui jouent sur le tapis avec de petites briques de bois. On entend en fond musical une chanson mielleuse d’un type qui dit viens dans ma douche de chaleur.
Sylvère lève les yeux :
– Bienvenue dans l’igloo, jeune loutre ! Vaincue par le froid ?
Nadia fait oui de la tête et se blottit à côté de lui, il passe le bras par-dessus son épaule.
– J’ai l’impression que la robe de chambre ne marche plus, dit-elle.
Il fait mine de passer la main dessous pour sentir, elle l’arrête d’une tape.
– Halte là, salamandre ! Ta main est gelée.
Il rétorque :
– Je t’avais dit de prendre le modèle à changement de phase, c’est beaucoup plus au point. La récupération du mouvement ça ne marche pas.
– Mais je suis sûre que c’est l’avenir. Toute cette énergie perdue, c’est idiot.
– Il faudra attendre l’avenir pour avoir chaud alors.
Elle ne répond pas et prend le temps de se réchauffer contre lui. Il reprend sa lecture. Au bout d’un quart d’heure, elle enlève sa couverture et ouvre sa robe de chambre. Il prend la couverture et la pose sur ses propres épaules, se lève, sort et revient quelques minutes plus tard avec une bouillotte et deux tasses de thé fumantes. Elle l’accueille d’un grand sourire et dit :
– Sole mio.
Il sourit en retour. Elle reprend :
– Tu as vidé la couche de Marcel ?
– Non.
– Ça serait pas mal, on ne l’a pas fait depuis ce matin.
Il acquiesce, se penche et attrape le petit dernier par la cheville en grognant, puis le tire doucement vers lui en le trainant sur le tapis. Le petit, d’abord contrarié d’être arraché à son jeu, crie en riant dans l’étreinte du monstre-père. Sylvère l’assoit sur un récipient et ouvre un petit robinet à son entrejambe.
– J’en laisse un peu pour son circuit de récupération de chaleur.
– Je vais finir par faire comme lui.
– Tu as déjà une bouillotte. Prends plutôt un minivax.
– Ça ne me fait plus rien, j’en prends tous les jours depuis une semaine. Déjà hier, je suis à peine montée à 37,2.
– Au moins tu es bien protégée contre la grippounette.
Ils sont interrompus par les enfants, qui commencent à s’énerver. Marcel veut absolument faire écrouler la tour qu’ils ont construite tous les trois, les autres l’en empêchent. Nadia fait la police :
– Les enfants, on se calme, attention le premier qui transpire passe à la douche ce soir !
– Oh non ! crie Judith, il fait trop froid dans la salle de bain.
– Vous êtes prévenus, répond Nadia.
Elle soupire et demande :
– Il doit durer combien de temps le coup de froid ? J’en ai déjà marre.
– Une semaine, répond Sylvère. Allez, c’est toujours mieux que les vagues de chaleur. Tu verras cet été.
Ancrage dans le monde actuel :
« Revenir au chauffage à l’ancienne : chauffer les gens, pas les lieux », un article passionnant qui évoque de nombreuses options en plus de celles évoquées dans le texte : lit à baldaquin, fauteuil à hotte, chauffe-pieds à braises… (Lowtech Magazine, en anglais ou français)
« Tout corps, lorsqu'il change d'état, échange d'importantes quantités de chaleur avec son milieu. » Les matériaux à changement de phase alternent entre état solide et liquide à des températures courantes. (Cahiers techniques du bâtiment)
« Des textiles collecteurs d'énergie pour des vêtements connectés » (Le Temps)
« Se chauffer à 19 °C : d’où vient la recommandation gouvernementale en pleine crise énergétique ? » (Le Monde, octobre 2022)
Photo de Joshua Bartell sur Unsplash