En 2022, on inventa des bracelets connectés qui permettaient de créer facilement de la musique en faisant des mouvements. Cette nouvelle interface connut un grand succès commercial et les plates-formes musicales croulèrent sous les nouvelles compositions venues du monde entier.
Les simples quidams ne furent cependant pas les seuls utilisateurs : les artistes se saisirent aussi de l’innovation. De ce fait, la scène hip-hop subit une transformation radicale, avec le développement d’une nouvelle branche hybridant les mouvements très athlétiques du hip-hop au sol et ceux, debout et tout en maitrise, du tai-shi. La musique qui en résulta posait des nappes instrumentales et des mélodies lentes sur des rythmiques énergiques et récurrentes, dans un style assimilable à une compression du Sacre du printemps.
Les artistes contemporains ne furent pas en reste et livrèrent leur lot de créations décalées. Une ondiste fribourgeoise eut ainsi l’idée de faire travailler la nature : elle se rendit à la source du Danube et y lança une petite bouée contenant les capteurs du bracelet, de façon à ce que les mouvements de l’eau génèrent la musique du fleuve. Le voyage dura plusieurs mois, durant lesquels l’artiste suivit la bouée en monopalme jusqu’à la Mer noire, tandis que le flux musical était diffusé en continu sur les réseaux. Un mythe tomba, certains mêmes crièrent à l’imposture, quand on s’aperçut que le résultat n’avait rien à voir avec Le beau Danube bleu.
Exploitant le filon, l’entreprise à l’origine du dispositif l’adapta aux autres sens et on assista à une efflorescence de danseurs-peintres, danseurs-créateurs de parfums et même de danseurs-architectes, avec un succès variable. Mais c’est une utilisatrice du dispositif initial qui finalement fit le plus de bruit : lors d’un festival de danse contemporaine à Marseille, sur une scène posée sur l’eau du Vieux Port, une longue improvisation dansée donna lieu à une quasi-émeute de dauphins.
Un technicien-son de l’équipe put établir que la musique créée par les mouvements de la danseuse se transmettait jusqu’à l’eau par l’infrastructure de la scène, avant d’arriver transformée jusqu’aux dauphins. Cet incident constitua une percée spectaculaire dans le domaine de la communication inter-espèces. En effet, le principe étant affiné et adapté, on put envisager d’aborder toutes sortes d’animaux, allant des araignées jusqu’aux poulpes, au moyen d’interfaces adaptées.
En parallèle, le dispositif sortait du domaine strictement artistique. Un menuisier curieux fit une première expérimentation, dont le résultat musical assez convaincant fit des émules un peu partout. Toutes sortes de professions manuelles, pâtissiers, élagueurs, chirurgiens, se saisirent du dispositif, revivifiant la notion d’intelligence de la main, quelque peu tombée en désuétude. Une brodeuse d’une grande maison de couture fut à l’origine du titre Point de croix au coin du feu, un genre de ritournelle rétro-électro, qui devint en quelques semaines la référence des temps calmes dans les écoles maternelles.
Puis l’onde prit de l’ampleur. Certains jeunes sourds se saisirent du dispositif pour faciliter la communication avec leurs parents entendants, avec de bons résultats. Le système fut ensuite adapté et élargi à tous ceux à qui le langage posait des difficultés, atteints de troubles dys-, autistiques ou de bégaiement, ou simplement ceux qui se sentaient plus à l’aise dans le mouvement, et leur fournit un canal supplémentaire d’expression. Les jeunes parents furent avertis des mouvements que leurs nourrissons faisaient avant de se mettre à hurler, échappant ainsi à nombre de réveils traumatiques.
Arrivé à ce stade, le dispositif fonctionnait avec les lunettes de réalité augmentée, qui affichaient la transcription des mouvements en couleurs. On recevait ainsi un message constitué à la fois de mots, de mouvements, de couleurs et de musique. Chacun se mit à ajuster son système comme il l’entendait, en réglant la balance de ces modes d’expression. Avec le temps, cette hybridation s’installa dans toute la population et la notion de communication non-verbale prit tout son sens.
Ancrage dans le monde actuel :
A l’origine de ce texte, cet article : « Nouveaux accessoires musicaux : plus besoin de cours (ni d’instrument) » (en anglais)
Qu’est-ce que c’est qu’une ondiste ? Echantillon
Le light painting consiste à photographier avec des temps de pose longs les mouvements d’un objet lumineux, de façon à créer un motif.
Sur le dialogue inter-espèces, je remets ici la référence de Vinciane Despretz « Autobiographie d’un poulpe ».
L’article Wikipédia sur la communication non-verbale
Photo de Ahmad Odeh sur Unsplash