Polyvaillante
Louise se gare devant la maison. Elle ouvre le coffre, sort sa mallette de soins, les plants de tomates comme promis, le motoculteur.
Elle passe tous ses mardis là mais aujourd’hui le programme est costaud : retourner le potager, planter les tomates, faire les soins de Thierry, vérifier les paramètres santé de Martine, mettre à jour le système d’Alfredo le robot de compagnie et commencer à entrainer l’IA intégrée pour calibrer les alertes au médecin traitant. Faut être un vrai couteau suisse dans ce boulot.
Une fois qu’elle a fait tout ça, elle s’essuie le front, il est dix-sept heures. Alfredo s’est rebiffé, il a fallu relancer trois fois la mise à jour mais là ça a l’air bon. Elle a encore le temps d’attaquer le bug dans les toilettes signalé par l’appli.
A quatre pattes sous la cuvette, elle sacre comme un beau diable quand le système décide de lancer la grande vidange annuelle et lui fait tomber dix litres d’eau de gouttière sur la tête. Vénère, trempée jusqu’à la taille, elle ouvre le système pour inspection. Rien de grave, c’est le boitier du capteur de glycémie qui est fendu. Elle le démonte et sort son téléphone.
Réparateur-imprimeur 3D
Excusez-moi un instant. Allô !
...
Ah salut.
...
Oui c’est tout simple comme pièce, mais tu ne peux pas l’imprimer toi-même ?
...
Ah ! Il faut venir la faire réparer, ton imprimante : Luigi répare tout, même les outils !
...
Oui, tu m’envoies le fichier tout de suite ? Ah oui le voilà. C’est bon, je lance l’impression, il y en a pour… vingt-deux secondes. Ouais, salut.
…
Excusez-moi. Donc, je vous disais, votre problème c’est que c’est un système propriétaire : le fabricant ne partage pas ses fichiers. Ça veut dire qu’il faut bricoler. Heureusement la pièce n’est pas trop abimée, donc c’est faisable. Mais c’est plus long : Il faut la rafistoler, la scanner au laser, puis le système nettoiera le fichier pour qu’on puisse ré-imprimer. Je le mettrai dans la bibliothèque du réseau d’ailleurs, ça servira à d’autres, ça doit casser régulièrement ce truc-là. Mais entre nous, la prochaine fois prenez un modèle ouvert, il y a moins de fanfreluches, c’est sûr, mais c’est bien plus robuste. Regardez : cette perceuse-là a presque le même âge que moi, elle appartenait à mon père !
Est-ce que tu mèmes ?
Bip
Qu’est-ce que c’est ? Conception de mèmes à façon, c’est marrant. Attends, ils te donnent rendez-vous pour cerner le besoin, ah ça doit être bien, ça donne sûrement des choses plus personnelles que ces machines qui les produisent à la chaine... Qu’est-ce que j’ai lu tout à l’heure ? Oui, une boite qui en sort dix millions par jour, ce vertige. En général c’est pas drôle, ou alors c’est toujours pareil, ce qui revient au même. Au même mème. Ha ! L’humour résiste encore aux machines. Mais qui m’envoie ça ? C’est peut-être elle sur son vélo, au feu rouge.
– Excusez-moi Madame, je viens de recevoir une pub pour des mèmes, c’est vous qui envoyez ça ?
– Oui, fait-elle en tapotant un petit émetteur sur son bras.
– Et vous dites que vous les fabriquez à façon, c’est spécial ça !
– Oui, ça donne un bien meilleur service. Sentir les gens, c’est quelque chose que les machines ne savent pas encore bien faire. C’est comme un costume sur mesure en fait.
– Mais ça existe ce métier ? Et comment ça s’appelle d’ailleurs ?
– Fabricant de mèmes, ça n’existe pas trop, on dirait mémétiste, peut-être ? Mais moi, au départ je suis méméticienne : je suis chercheuse, la mémétique c’est la science qui étudie les mèmes. C’est un mélange de sémiologie et de sociologie. Mais je fais ça à ma façon : comme je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent pour mes recherches, au lieu de remplir des dossiers de subventions, je vends des prestations.
– J’ai affaire à une spécialiste alors !
– Si on veut, oui, répond-elle en riant. En tout cas j’y trouve mon compte : ça me permet de pratiquer mon sujet, d’éviter de seulement l’observer de l’extérieur.
– Mais, excusez-moi, le baudrier et les cordes, c’est votre tenue de méméticienne ? C’est une activité de haute altitude, c’est ça ?
– Non non, j’ai un autre boulot, il faut bien vivre, je suis aussi laveuse de panneaux solaires. Je profite juste du trajet pour faire de la pub itinérante.
Conservateur local
Ancrage dans le monde actuel :
« Aide à domicile : confronté à une pénurie de personnel, le secteur s’attend à un été compliqué » (France Info, 2022)
La machine à laver L’Increvable, réparable et évolutive, inventée par le designer Julien Phedyaeff pour son projet de fin d’études. Malheureusement, le site indique : « 2020 : le projet est suspendu faute de partenaires industriels et financiers. »
Dans le même ordre d’idées, le fameux Fairphone, le téléphone réparable et éthique, qui lui se vend bien
Fabrique ta moissonneuse-batteuse ! L’Atelier paysan met à disposition gratuitement les plans de fabrication de machines agricoles. Par ailleurs, voici un exemple de site proposant des fichiers à imprimer en 3D et un guide d’achat de scanners 3D.
Le site « Longue vie aux objets » du gouvernement
L’article Wikipédia sur la mémétique
« Crise énergétique : les Français se ruent sur les panneaux solaires » (les Échos)
« Sur le marché des boissons fermentées, l’agroalimentaire met les gaz » (Libération)
L’article Wikipédia sur Nicolas Appert, cuisinier et inventeur en 1795 de la conserve et de l’appertisation, comme son nom l’indique
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