Bonjour à tous et bienvenue à cette réunion de rentrée. J’espère que vous avez tous passé un été reposant car, comme vous le savez, cette année 2031-2032 est de nouveau une année de réforme. Nous avons reçu la semaine dernière les instructions du ministère.
Nous avons tous en mémoire le climat de tension dans lequel la campagne électorale de 2027 s’est déroulée et les nombreux évènements malheureux qui l’ont accompagnée. Je crois qu’il y a désormais consensus sur la dégradation du climat social et sur notre incapacité collective à échanger nos points de vue de façon calme et constructive. Conséquence directe : le vivre ensemble lui-même est menacé et, dans son sillage, la santé de la démocratie en France.
La réforme de cette année a vocation à répondre à cette évolution, et je cite les termes du ministère : « L’école de la République doit être le forum où chacun peut s’exprimer sans craindre l’invective ou la stigmatisation. Elle doit être un lieu où l’on apprend à développer, articuler et exprimer sa pensée et son ressenti de façon à les partager avec les autres dans un climat constructif. De ce fait, il est crucial de développer chez les élèves l’écoute et l’empathie. » En d’autres termes, ça signifie que nous devons apprendre aux élèves à discuter calmement.
Alors quelles conséquences ça a pour nous sur le terrain ?
Tout d’abord, les cours de langues vont reprendre… S’il-vous-plaît, s’il-vous-plaît ! Bien sûr, les babel fish traduisent tout de façon instantanée mais l’idée ce n’est pas juste d’échanger des informations. C’est de se dire qu’une langue correspond à une façon de voir le monde et qu’apprendre une langue étrangère permet, d’une certaine façon, de changer de lunettes : il faut devenir capable de changer de point de vue.
Vient ensuite la question du choix des langues à enseigner. Pour motiver les élèves, il nous semble qu’il faut leur proposer des langues plutôt faciles à apprendre, parce que ça permet de chausser ces fameuses lunettes sans trop de difficultés et que c’est motivant. Bien sûr nous avons pensé à l’italien, qui est extrêmement proche du français et qui est généralement apprécié. Mais nous vous proposons aussi d’ouvrir une classe d’espéranto, parce que sa grammaire tient en une page et parce que c’est une langue agglutinante, qui structure donc la pensée de manière très différente du français. Enfin, pour ceux qui ont soif d’exotisme, une classe d’indonésien, qui est la langue asiatique la plus facile paraît-il.
Un autre changement : l’enseignement des langues inclut désormais un volet sur l’empathie, qui insiste précisément sur les différences de points de vue, dans le vocabulaire et dans la syntaxe.
En parallèle à ces classes de langues, une nouvelle matière fait son apparition. La presse en a largement parlé cet été : il va y avoir des cours d’échange constructif. Je rappelle en deux mots de quoi il s’agit : c’est un match qui se joue à deux ; pour gagner il faut être clair, honnête et prendre en compte la position de son interlocuteur sans perdre de vue son propre intérêt. Comme vous le savez, le but n’est pas de convaincre, ce n’est pas contre l’interlocuteur qu’on joue mais plutôt contre le conflit, ou plutôt pour l’échange. Ces cours seront assurés par les professeurs de français et d’histoire-géographie.
Dans le même ordre d’idées et sur un mode peut-être plus ludique, nous envisageons d’ouvrir une classe de théâtre d’improvisation à partir de janvier, pour favoriser l’écoute et la construction d’un récit commun.
Enfin, notre collège a été choisi comme établissement-test pour une nouvelle matière : un cours de volley d’arguments. Cette discipline mobilisera en binôme le professeur principal et le professeur d’EPS. Elle est basée sur les règles classiques du volley-ball, à une différence près : l’absence d’entraîneur. Ce sont donc les joueurs eux-mêmes qui partagent leurs observations du jeu adverse et décident de la tactique à suivre. Les décisions se prennent par consensus, lors de temps d’échanges qui ont lieu entre chaque set.
Il nous a semblé que cette formule peut séduire des élèves moins scolaires et apprendre à garder son calme dans des circonstances où les taux d’adrénaline sont élevés.
Je remercie les collègues qui se sont déjà portés volontaires pour ces cours. Des formations auront lieu pendant le mois de septembre.
Un dernier mot pour couper court à certaines rumeurs : bien entendu le dispositif des élèves-démineurs est maintenu, il est parfaitement adapté au nouveau contexte.
Voilà, je vous remercie pour votre attention et vous souhaite à chacun une excellente année. Bien entendu, nous sommes conscients que cette réforme amène pas mal de changements, avec parfois des côtés perturbants. L’équipe de direction et moi-même sommes disponibles à tout moment pour en discuter avec vous, de façon calme et constructive.
Ancrage dans le monde actuel :
La notion de Babel fish est tirée du livre « Le guide du voyageur galactique » de Douglas Adams. Le Babel fish s’insère dans l’oreille et traduit en direct n’importe quelle langue. On y est presque aujourd'hui.
L’article Wikipédia sur les bulles de filtres, soupçonnées de polariser les opinions.
Une discipline mêlant action et réflexion : le chessboxing, alternant un round d’échecs et un round de boxe, a été inventé par Enki Bilal dans les années 1990 dans la BD « Froid équateur », puis mis en œuvre dans la vraie vie.
Photo de Hermes Rivera sur Unsplash
Comme vous l’avez constaté, ce texte s’éloigne du périmètre scientifique habituel de la newsletter. Il s’agit d’un test, sur lequel je serai content de lire vos commentaires. Bonne lecture !
Rééducation
Très bien cette excursion hors de la hard science vers les sciences humaines.
Sais-tu qu'au Canada certains élèves suivent des cours de débat? Ces cours sont pris en dehors de l'école et compte tenu du coût, ils sont donc réservés à certains seulement malheureusement.