La porte en métal s’ouvre, deux jeunes sortent, la porte se referme bruyamment sur la cage d’escalier. Le soleil tape fort sur le toit mais les arbustes donnent un peu d’ombre aux cultures maraîchères à leur pied.
Nolan porte une valise carrée, Clèm trimballe une pelote de sangles et de cordes, d’où pendent des mousquetons et un casque fluo. Ils posent leur chargement, puis s’approchent du côté rue. Ils s’allongent à plat ventre avec la tête qui dépasse pour inspecter la végétation qui couvre toute la façade. Nolan commente :
– Pas de décrochage, ça a l’air d’aller.
Clèm acquiesce, ils se relèvent et retournent à leur matériel. Nolan pose la valise à plat, l’ouvre avec précaution. L’intérieur est matelassé et renferme un petit drone à quatre hélices, un masque de réalité virtuelle et une enceinte portative. Il prend le quadri, le pose au sol, fait de même avec l’enceinte, enfile le masque, puis lance quelques tests : manœuvres, caméra, bras articulés.
Pendant ce temps, Clèm démêle son fatras, en tire deux harnais d’escalade et quarante mètres de corde. Elle enfile un harnais et entreprend d’accrocher solidement une des cordes à un anneau scellé dans le sol.
Nolan, qui a fini ses tests, dit au drone :
– Feu vert pour inspection.
Le drone décolle, passe le rebord du toit et commence à circuler le long de la façade. L’IA fait ses observations via l’enceinte :
– Au sixième étage : Jasminum grandiflorum en boutons, à maturité pour récolte d’ici deux semaines. Côté Ouest, un nid de Turdus merula, la mère au nid...
– Paramètres, Interface vocale, Dénomination vernaculaire, coupe Nolan. C’est relou, ce latin qui revient à chaque fois, ça fait trois fois que je signale le bug.
– Combien de petits, les merles ? demande Clèm.
L’IA prend un instant pour analyser les cris sortant du nid :
– Trois ou quatre petits, autour de dix jours, répond l’IA, puis elle reprend : aux cinquième et quatrième étages, zone de libre développement : principalement chèvrefeuille, liseron, clématite, passiflore et cultures adjacentes. Attention : point de fixation du palissage corrodé, intervention recommandée.
L’appareil fixé au bras de Clèm vibre pour accuser réception des coordonnées verticales. Elle ouvre la petite trousse à outils à sa ceinture pour vérifier qu’elle a tout ce qu’il faut, fait passer la corde dans son descendeur de rappel, puis enjambe le parapet et descend faire la réparation.
– Analyse de risque bâtimentaire, commande Nolan. Rappel des décisions de la copropriété.
– Refus des espèces à crampons ou ventouses. RAS sur ce sujet. Nouveauté par rapport au dernier passage : départs de valériane et de cymbalaire des murs.
– A signaler. Reprise de l’inspection.
– Troisième étage : vigne à raisin de table, petit pois, kiw… biip Attention biip Attention : présence de frelon asiatique.
– Inspection approfondie, répond Nolan.
Quelques secondes de silence, pendant lesquelles le drone suit un frelon le long de la façade, pour s’arrêter entre le second et le premier étage.
– Nid de frelon asiatique en construction, trois niveaux finalisés, nombre de cellules estimées : entre quinze et vingt-cinq.
– Enfumage, emballage, répond Nolan. Puis, s’adressant à Clèm : Tu as entendu, il faut que tu descendes récupérer un nid de frelons au premier.
– Oui, répond Clèm laconique.
– Dis donc, ils ne devaient pas lâcher des prédateurs des frelons ?
– Si, ils élèvent des guêpiers et des bondrées au bois de Vincennes mais il n’y en a pas assez : les guêpiers ça marche à peu près, mais les rapaces, c’est compliqué.
L’IA finit son inspection. Nolan lui demande :
– Bilan Isolation.
– Inertie thermique augmentée de 1,2 degrés en moyenne en hiver, de 2,8 en été. Isolation acoustique augmentée de 4,1 décibels en moyenne.
– Ça avance. Bilan Biodiversité.
– Bilan floristique : approximativement 35 espèces dont 6 cultivées, soit 2 à fleurs, 1 à pois, 3 à fruits, et 29 espèces sauvages, concentrées en zone de libre développement mais aussi en cohabitation avec les cultures, en particulier les pêchers et le houblon. Bilan faunistique : approximativement 55 espèces, dont 45 espèces d’insectes et arthropodes (6 pollinisateurs), 4 espèces de reptiles, 5 espèces d’oiseaux et 1 espèce de chiroptère. Espèces notables : moineau domestique, roussette, répertoriés comme rares dans l’agglomération.
– C’est pas mal pour le onzième arrondissement, conclut Nolan. Validation, intégration à la base de données, envoi à la copropriété et au GAEC.
Clèm repasse le parapet, suivie du drone qui porte le nid de frelons dûment empaqueté. Ils remballent et repartent au Jardin des plantes.
Ancrage dans le monde actuel :
L’article Wikipédia sur les murs à pêches de Montreuil, qui permettaient de cultiver près de Paris ces fruits plutôt méridionaux
L’agriculture urbaine se répand sur les toits des bâtiments (Wikipédia).
L’agriculture de précision cherche à ajuster les traitements, par exemple les semis, l’arrosage ou les engrais, aux spécificités de chaque zone, y compris à l’intérieur d’une même parcelle. Un exemple d’entreprise proposant des services de drones.
Une autre entreprise proposant des services d’inspection des éoliennes.
L’appli Birdnet ou le Shazam des oiseaux, pour les reconnaître à leur chant (sur Android ou Apple). Alors, merle ou grive musicienne ?
Le guêpier d’Europe, une des plus belles espèces de nos latitudes (photo au début du texte)
La bondrée apivore, un rapace mangeur de guêpes et autres insectes proches
L’incroyable diversité des insectes : entre 5 et 80 millions d’espèces possibles (Wikipédia)
Photo de guêpier d’Europe par Hans van Tol sur Unsplash
Je suis parfois plus dubitatif sur l'idée que l'IA et la techno soient la solution, mais je t(rouve vraiment agréable de l'anticipation qui ne donne pas dans le pessimisme. Merci Martin.