Sandrine
Ça se présente bien ces vacances. On a récupéré les enfants le matin puis les gens de la ZAD sont venus comme convenu à la maison avec les tandems et la rosalie. On a chargé notre barda et on a pédalé une petite heure jusqu’au rebord de la ville. On a été bien accueilli, ils nous ont proposé de nous installer dans le champ mais on s’est posé un peu à l’écart, dans le bosquet, il fait tellement chaud ! On n’est pourtant que début juillet. On a monté les tentes en vitesse avec les enfants, puis on a mangé un morceau. Ensuite il y a eu un petit spectacle de théâtre d’impro autour du feu, ça a bien plu à Jeanne, je l’ai inscrite pour la semaine prochaine.
Toutes ces activités ! Ce matin chacun est parti à droite à gauche. Dans cinq minutes je pars moi aussi, au chantier de construction de la « Maizad » comme ils disent, la Maison de la ZAD. Je leur ai demandé ce qu’il y avait à défendre sur cette zone, ils m’ont dit qu’il s’agissait plutôt de déconstruire ce qui reste du centre commercial et de développer la future ferme. La Maizad deviendra le bâtiment d’habitation.
Enfin moi je vais commencer par faire des briques en terre crue, si j’ai bien compris, mais ils m’ont dit qu’ils m’apprendraient aussi d’autres choses. Très bien, j’ai toujours adoré avoir les mains dans la boue.
Je suis bien contente qu’on reste deux semaines, on a bien fait de prendre l’option tente, c’est moins cher. Par contre, qu’est-ce que j’ai mal au dos ! Il faut que je demande un coup de main pour me faire un matelas végétal.
Samuel
J’aime bien, ils me prennent au sérieux. Ils m’ont donné une masse d’adulte. Le partageur me donne des conseils pour le mouvement, pour préserver mon dos dit-il. J’aime pas trop les conseils en général, mais c’est vrai que quand je voyais Mamie ce matin, ça ne donne pas envie.
Je suis avec deux gars de vingt ans et Maël qui passe en Seconde comme moi. On est torse nu, tous les quatre autour de notre montagne de béton. Ils ont laissé le toit pour nous faire de l’ombre, ils le démonteront à la fin. Il y a des courants d’air entre les poteaux, ça fait du bien.
Le bâtiment d’à côté est plus avancé, il ne reste qu’une structure en métal tout rouillé. Ils sont en train de la découper, ça fait des étincelles de malade. Nous, de notre côté, on prend une plaque de béton, on tape dessus jusqu’à faire quelques fissures, puis on la met sur l’autre tas et on passe à la suivante.
Le partageur nous a dit en riant que c’est parce qu’on est des feignasses : on prépare juste le terrain pour l’humidité et les petites plantes, qui feront le plus gros du travail. Grâce à elles les plaques seront beaucoup plus faciles à concasser d’ici quelques années. Elles serviront à refaire du béton ou combler des trous. Dans tous les cas, ça me fait du bien de taper, moi. Et je vais revenir super costaud.
Romy
Aujourd'hui, comme c’est le premier jour, les plus petits font le tour des activités. Ça commence à la déconstruction. Océane, la partageuse, leur montre les objets récupérés et leur explique comment on trie ce qui a de la valeur : le métal, certains plastiques, l’électronique, les choses qui n’ont pas l’air trop cassé. Elle leur dit aussi que, quand on trouve un trésor, on peut le garder. La nouvelle copine de Romy, qui est déjà là depuis une semaine, lui montre le beau porte-clé en forme de lézard que sa maman lui a déniché l’autre jour.
Puis ils partent à la dépollution : Océane leur explique comment les plantes absorbent les poisons du sol puis comment tout ça est traité. Elle leur explique aussi les bactéries dépolluantes, qui travaillent en même temps que les plantes pour que la future ferme ait une belle terre pour les légumes.
Ensuite ils passent à l’atelier de plantation des haies et des arbres, puis à la construction en terre crue, puis au repérage du parcours des drones qui veilleront sur chaque recoin de culture, mais Romy n’aime pas beaucoup les machines. C’est à la dernière étape, à l’atelier Jeux, qu’elle trouve son bonheur : elle est ébahie et enthousiasmée quand on lui dit qu’on peut inventer ensemble un jeu de société, et même le fabriquer.
Jeanne
Jeanne est comme sa grand-mère, elle n’est jamais aussi heureuse que les mains dans la terre. Donc dès qu’elle a entendu parler de l’atelier Plantations, elle a sauté dessus. Ce matin le groupe est divisé en binômes, ils plantent une haie. C’est pour couper le vent froid et protéger les jeunes pousses au printemps. Le champ descendra jusqu’à la rivière près de la petite grève où on se baigne le soir.
La partageuse leur explique que la haie aide aussi à conserver l’eau et qu’elle abritera plein d’animaux. Avant de commencer, ils ont longé une ancienne haie qui est restée, et elle leur a montré un nid de troglodyte et même une boule d’herbes avec une petite entrée toute ronde : un nid de muscardin, une souris des champs qui se faufile partout.
Cet après-midi ils iront dans le verger. De premiers plants d’arbres fruitiers sont là depuis l’an dernier, et maintenant il s’agit de préparer l’étage du dessous : les buissons. La partageuse leur a expliqué que la ferme va tester l’agroforesterie : les arbres aèrent le sol pour d’autres étages de cultures en-dessous, et ils leur font de l’ombre en été. Jeanne a l’eau à la bouche : tout en bas, ils ont prévu de mettre des fraises.
Olivier
J’aime bien ça, « partageur ». J’ai beau être retraité, quand on a été infirmier trente ans, on est bien utile ici. Ça fait partie du deal : on donne ce qu’on a. Et moi je n’ai pas envie de faire trop de tâches physiques.
Ils sont mignons, ce petit groupe, super attentifs. Je leur ai déjà fait un peu de prévention sur les situations dangereuses, je leur ai parlé des plaies, des brûlures etc. J’allais passer à la PLS quand on m’a amené un petit bonhomme qui s’est blessé sur un caillou. Rien de grave mais il faut recoudre. Il serre les dents, il a la frousse, je lui cause pour le rassurer. Hop, un petit bonbon relax, un coup d’anesthésiant local, et c’est plié en un quart d’heure. La maman est soulagée, il repart tout fier avec deux points de suture et un gros pansement.
Je reprends mes explications sur la PLS, je fais le mort, je leur montre comment même les petits loulous peuvent retourner un gros épaulard comme moi, ils sont ravis.
A la fin de la matinée, je vois arriver la petite Romy avec une copine toute en bleu, ça doit être des néo-Amish. Romy est surexcitée, elle me montre le porte-clé que la maman de sa copine a trouvé au tri. Elle me fait rire, celle-là, quelle pêche ! Et elle est liante en plus, on est là depuis hier soir, elle a déjà fait ami-Amish.
Ancrage dans le monde actuel :
« Vacances durables : de quoi parle-t-on ? », sur le site de l’ADEME
L’article Wikipédia sur les ZAD
« Immobilier : comment les centres commerciaux s’adaptent à la zéro artificialisation des sols » (Les Échos)
Une présentation de l’IFSTARR sur la construction en terre crue
L’article Wikipédia sur l’agroforesterie, associant l’arboriculture à d’autres activités agricoles
L’article Wikipédia sur les Amish
Ce texte met aussi en scène l’apprentissage non-formel et informel : « Reconnaître l’apprentissage non formel et informel : résultats, politiques et pratiques », sur le site de l’OCDE
La question que tout le monde se pose : qu'est-ce donc qu’une rosalie ?
Photo de Juan Carballo Diaz sur Unsplash